3) CHANGEMENTS GEO-POLITIQUES DES FRONTIERES

 

La guerre de 1870 interrompt tout

La déclaration d'Utilité Publique pour les travaux de la liaison Remiremont-Wesserling par le col de Bussang intervient le 11 juillet 1870 et la concession définitive de l'exploitation de la ligne est accordée par l'Etat à la Compagnie de l'Est un mois plus tard. Partout dans les grandes villes du Haut-Rhin et des Vosges, dans les comités, les Chambres de Commerces et d'Industries qui se sont battus pour obtenir la réalisation de cette ligne tant attendue, on se réjouit de cette victoire et on espère le début des travaux rapidement.... un peu trop tôt malheureusement.

En effet, le 19 juillet 1870, soit à peine 8 jours après la signature de l'accord pour la réalisation de la ligne, la France est en guerre avec la Prusse, et va subir à l'issu de ce conflit une lourde défaite. L'Etat français qui se substitue à l'empire de Napoléon III va devoir payer non seulement une lourde dette de guerre, mais aussi céder l'Alsace et la Moselle, deux de ses régions les plus prospères, au titre des dédommagements de guerre demandés par la Prusse.

Ce changement géo-politique dans les frontières va avoir de lourdes conséquences sur la reprise des projets qui seront ressortis des tiroirs que bien plus tard. A défaut de voir la réalisation d'une ligne trans-vosgienne compte tenu du climat politique et militaire régnant de chaque côté des Vosges, on se contente de prolonger sur chaque versant les lignes existantes jusque dans le fond des vallées.

Le prolongement Remiremont-Cornimont

La vallée de la Moselotte fut la première à obtenir le prolongement de la ligne venant de Remiremont jusqu'à Cornimont. Cette ligne fut construite sous l'impulsion de quelques industriels regroupés autour de ce projet et désireux de profiter des avantages du chemin de fer. Ils constituèrent à cette occasion la compagnie du chemin de fer de la Moselotte au capital de 700 000 Francs et obtenèrent le 24 février 1877 la concession de cette ligne avec une subvention de 1,4 million de Francs de l'Etat et des communes concernées par le projet. Les expropriations commencèrent en juillet 1878 de manière à permettre le début des travaux qui furent particulièrement difficiles et coûteux entre Vagney et Thiéfosse pour briser l'obstacle rocheux au niveau des gorges de Crosery. Au total, 3,3 millions de Francs avaient été dépensés pour réaliser les 20km de la ligne établie à voie unique qui fut inaugurée le 1er septembre 1879. Pour éviter une faillite certaine compte tenu des difficultés d'exploitation qui ne manquèrent pas d'arriver, la petite compagnie fut très vite rétrocédée à la Compagnie de l'Est en l'échange du remboursement du capital. Elle fut classée en 1901 dans la catégorie des lignes d'intérêt général.

Le prolongement ultime de la ligne vers La Bresse envisagé notamment dans le cadre du projet Hartmann ne vit jamais le jour. C'est la seule commune importante des Vosges à n'avoir jamais été reliée au rail. Cette oubli ne l'a d'ailleurs pas empêché contrairement à se qu'on pourrait croire de connaître la prospérité avec la création dans les années 1970 de la station de ski.

La ligne Remiremont-Saint-Maurice

Ancienne carte postale représentant la gare de St-Maurice, terminus de la ligne venant de Remiremont jusqu'en 1891 avant d'être prolongée jusqu'à Bussang. Elle montre le BV typique de la Compagnie de l'Est avec la halle à marchandises à l'arrière. Elle fut équipée de trois voies dont deux à quais et une centrale pour les manoeuvres.

Agrandissement

Contrairement au prolongement de Cornimont, la ligne Remiremont-St Maurice fut dès l'origine concédée à la Compagnie de l'Est qui recu les autorisations le 17 juin 1873. Les expropriations débutèrent en 1978, la même année que pour la ligne de Cornimont dont les destinées étaient très liées. Les 28km de voie unique qui furent mises en service le 7 octobre 1879, soit à peine quelques jours après celle de Cornimont, coûtèrent tout de même la somme de 5 millions de Francs. Il faudra attendre 1891 pour voir le prolongement ultime de la ligne jusqu'à Bussang, au prix de rampes plus fortes atteignant les 20 pour mille. En dépit d'un trafic très soutenu (des trains arrivaient et partaient toutes les heures), les prolongements de Cornimont et de Bussang étaient tous les deux déficitaires et les recettes se révélèrent insuffisantes pour amortir les capitaux engagés. Néanmoins, ces lignes rendirent de très grands services en permettant le développement de l'industrie cotonnière en plein essor à cette époque et en ouvrant les vallées au tourisme.

La ligne Remiremont-Bussang comme celle de Cornimont furent fermées le 27 mai 1989, après plus d'un siècle de loyaux et bons services. Les plate-formes de ces deux lignes ont laissé la place dans les années 1990 à des pistes cyclables, ce qui permet de les découvrir à son rythme.

La ligne Wesserling-Kruth

Photo d'époque de la gare de Kruth au temps de sa splendeur prise après la première guerre mondiale à l'époque de l'AL (Alsace-Lorraine) comme en atteste le titre de la carte postale en français.

Agrandissement

 

 

 

Côté alsacien, on ne reste pas inactif non plus malgré l'annexion prussienne dont l'administration ferroviaire Elsass-Löthringen développera d'une manière très importante le réseau ferré en Alsace et en Moselle. Dans le but de relier au rail les dernières industries textiles du fond de la vallée de la Thur et surtout pour répondre à des objectifs stratégiques fixés par le Reich, l'administration Elsass-Löthringen sous tutelle prussienne réalisera l'extension jusqu'à Kruth de la ligne venant de Wesserling qui fut déjà prolongée en 1853 depuis Thann, terminus de la première ligne ferroviaire de l'Est de la France et la troisième au plan national. Les travaux commencèrent le 22 mars 1901 mais les 3,61km de ce dernier tronçon ne seront mis en service que le 2 janvier 1905.

La reprise des négociations

A l'aube du 20ème siècle, après trente ans de présence prussienne en Alsace et en Moselle, les rapports entre les deux grandes puissances se normalisent à nouveau. Les intérêts économiques passant en priorité sur les sentiments nationaux, les projets de traversée des Vosges refont surface. Les anciens comités se reconstituent de chaque côté de la frontière et sont désormais centralisés par le comité Franco-Allemand basé à Paris et par son homologue allemand, le Deutsch-Französische Wirtschafsverein installé à Berlin.
Ce comité éditera en 1909 un rapport très volumineux dans lequel sont recencés et détaillés tous les différents projets de percées vosgiennes allant du Sud au Nord des Vosges.

Peu avant cela en 1904, le projet consistant à relier St-Dié à Ste Marie aux Mines sera le premier à faire l'objet de démarches bilatérales, mais restera sans suite malgré un avis favorable donné par les deux puissances.
A peine trois ans plus tard, le projet du col de Bussang fait parler de lui et entraîne avec lui la résurection des projets Hartmann et Gérardmer-Metzéral. Pour favoriser son projet, le comité du col de Bussang publiera un rapport mettant en avant les avantages de la liaison et les inconvénients des projets concurrents. En effet, le tracé par le col de Bussang ne manquait pas d'atouts:
- Le tracé est le plus court de tous avec seulement 13km pour joindre l'extrémité des lignes françaises et prussiennes.
- Le projet est le moins cher de tous avec une participation pour la partie française très modeste sur le coût total estimé à 11 500 000 Francs. En outre, les travaux sont plus faciles à exécuter sur cette liaison que pour les autres projets.
- L'itinéraire est le plus direct entre Epinal et Mulhouse et est donc tout indiqué pour raccourcir la liaison entre le Bénelux et la Suisse.
- Du fait des dénivelés plus faibles par ce tracé, la ligne est beaucoup moins exposée en hiver, donc plus facile pour l'exploitation et permet la circulation de trains rapides beaucoup plus rentables.
- La ligne permettrait de dynamiser l'industrie textile et de desservir un plus grand nombre de centres industriels.

Faces à de tels arguments, le comité Hartmann et celui de Gérardmer réagirent en faisant également valoir les avantages économiques et industriels de leurs projets pour ne pas perdre la bataille. La commune de La Bresse était d'ailleurs prête à de lourds sacrifices financiers pour voir passer la ligne internationale sur sa commune et par la vallée de la Moselotte.

Derrière ce duel qui opposait deux projets principaux, il existait une très vive rivalité entre les communes de la vallée de la Moselle et celles de la Moselotte, chacune d'elle désirant profiter des formidables retombés économiques d'un tel projet industriel et commercial. Les avantages pour faire pencher le choix du tracé par l'une ou l'autre des vallées étaient donc cruciaux. En revanche, la ville de Remiremont observa une position toute neutre, le tracé passant obligatoirement par cette ville quelque soit la décision.

Cependant, toutes ces démarches menées de chaque côté de la frontière furent subitement interrompues en 1909 suite à une polémique lancée par la presse parisienne sur les dangers d'invasion que représentait la perspective d'un tunnel sous les Vosges. L'armée n'était bien évidemment pas étrangère à cette action, mais autant un tunnel pouvait favoriser une invasion, autant il pouvait faciliter une offensive. Cet argument pouvait donc être tourné et manipulé à volonté par les différents détracteurs. La détérioration des relations internationales à partir de 1911, la montée des sentiments nationalistes et les crises successives vécues en Europe, mirent un terme à toute poursuite des discussions bilatérales.

Liaison internationale: un contre-projet français

Dans cette période politique difficile en Europe, un contre-projet totalement inattendu fit son apparition en 1913 qui consistait à passer sous le Ballon d'Alsace pour relier St-Maurice ou Le Thillot à Giromagny. Ce projet qui avait le soutien des chambres de commerce de Belfort et d'Epinal permettait de créer une deuxième liaison plus courte entre Epinal et Belfort, deux places fortes très importantes dans le système défensif Séré de Rivières, tout en restant constamment en territoire français. Avec l'ouverture prochaine du tunnel du Lotschberg dans lequel des capitaux français étaient engagés, l'intérêt de disposer d'une telle ligne devenait de plus en plus évident en créant une ligne internationale permettant de réduire de manière significative les distances entre le Nord de la France et l'Italie via le tunnel du Simplon déjà en service.

Or en août 1914, la France déclare la guerre à l'Allemagne et toutes les démarches pour percer les Vosges tombent une nouvelle fois à l'eau comme en 1870.

 

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