2) LES PREMIERS PROJETS

 

Mulhouse-Thann: la première ligne ferroviaire de l'Est

La construction d'un tunnel sous le col de Bussang ou du moins effectuer son franchissement par une ligne ferroviaire est aussi ancien que le mode de transport lui-même. Rappelons simplement pour mémoire que le chemin de fer est né en Angleterre au début du 19ème siècle, que la première ligne ferroviaire française Saint-Etienne-Andrézieux est construite en 1827, suivie de près par la ligne Paris-Saint Germain en Laye et surtout en 1839 par la mise en service de la ligne Mulhouse-Thann soutenue par l'industriel Nicolas Koechlin qui voyait son rêve de relier les importantes usines qu'il possédait dans chacune de ces deux localités se réaliser. La ligne de la Thur devenait ainsi la troisième ligne ferroviaire française.
25 ans après la naissance du chemin de fer en France, celui-ci arrivait ainsi presque aux portes des Vosges à une cinquantaine de kilomètres des usines textiles de la Haute Moselle alors en plein essor.

Illustration de ce que fut la gare d'origine de Thann en 1840. Le retournement des locomotives à vapeur et des wagons se faisait à l'aide de plaques tournantes. On notera la collégiale de Thann toute à droite.

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Le prolongement de la ligne jusqu'à Wesserling sera décidé en 1853 afin de desservir un plus grand nombre d'industries et d'améliorer les résultats comptables pour la section Lutterbach-Thann. Concédée à la Compagnie de l'Est le 11 juin 1859, les 12,860km de cette nouvelle section en voie unique sont mises en service le 25 novembre 1863. On se rapproche alors un peu plus de la barrière vosgienne, ce qui laisse espérer un franchissement prochain de la chaîne pour se raccorder aux lignes de Lorraine. Mais à défaut de franchir la montagne, on se contente de poursuivre les extensions vers le fond des vallées.

La percée des Vosges: une nécessité économique

Mulhouse construisait dans la deuxième moitié du 19ème siècle la plupart des machines textiles et fournissait l'essentiel de l'approvisionnement nécessaire aux usines de la Haute Moselle qui en retour renvoyaient les textiles pour être blanchi, teint ou imprimé.
La région de Remiremont aurait pu connaître un développement industriel spectaculaire et sans précédent si elle avait pu être reliée à l'Alsace par l'intermédiaire d'une liaison ferroviaire ou d'un noeud permettant l'interconnexion de plusieurs villes importantes comme on va le voir plus tard avec le projet Hartmann.
Le tout premier projet de franchissement des Vosges à voir le jour apparu en 1839, la même année que l'ouverture de la ligne Mulhouse-Thann, sous la forme d'une liaison fluviale/ferroviaire entre la commune de Remiremont qui devait être reliée au canal de la Saône et Thann où commençait la voie ferrée. Le projet fluvial initial confié à l'ingénieur Lacordaire, fut repris et développé par M. Stanilsas Bresson, député et Président du Conseil Général des Vosges, qui imagina une extension du futur canal jusqu'à Saint-Maurice avec l'installation d'une machine fixe pour assurer le franchissement du col de Bussang et se raccorder ensuite au chemin de fer de la vallée de Thann. Le projet relevant d'avantage de l'utopie fut vite écarté, mais il avait le mérite d'avoir évoqué pour la première fois le franchissement des Vosges et d'avoir pensé au désenclavement de la Moselle.
Deux ans à peine s'écoulent avant qu'un nouveau projet apparaisse. En 1841, un grand projet est à l'étude, celui de relier Paris à Strasbourg. Différents itinéraires furent proposés. Le premier présenté par l'ingénieur Collignon, consistait à relier les deux métropoles par Vitry le François, Nancy et l'une des trois vallées de la Moder, de la Zorn ou de la Bruche. Le deuxième proposé, envisageait d'effectuer une grande courbe par le Sud en passant par Dijon. C'est alors qu'une troisième proposition vit le jour en proposant un trajet intermédiaire consistant à couper les Vosges en travers plutôt que de les contourner. A cet effet, le Conseil Régional créa une commission chargée d'étudier la question qui présenta son travail lors d'une réunion extraordinaire le 22 décembre 1841. Le comité proposait de faire passer la ligne Paris-Strasbourg par Montereau, la vallée de l'Aube, Ligny en Barrois, la vallée de l'Ornain, Houdelaincourt, Mauvages, la vallée de la Meuse et celle du Vaires avant d'atteindre Epinal. De là, elle remonterait la Moselle jusqu'à Saint-Maurice avant de franchir les Vosges par un tunnel d'environ 1800m de long pour aboutir au dessus de Masevaux dans la vallée de la Doller et rejoindre Mulhouse, d'où il aurait été facile de desservir Strasbourg et Bâle. Ce projet, s'il avait vu le jour, aurait permis de faire de cette liaison l'épine dorsale des relations entre Paris et l'Est de la France, en assurant la desserte transversale de nombreuses communes telles Toul et Nancy d'un côté, Vesoul et Dijon de l'autre. Il présentait également d'autres avantages intéressants: certaines études étaient déjà bien avancées, la ligne convenait aux militaires et le coût global restait très honorable.
Malgré tous les arguments de ce projet audacieux, c'est l'itinéraire le plus direct par Nancy et la vallée de la Zorn qui fut choisi. En 1846, la ligne Bâle-Mulhouse-Strasbourg était en service et c'est en 1852 que la ligne actuelle Paris-Nancy-Strasbourg fut inaugurée. La construction de lignes traversant les Vosges de part en part ne pouvait dès lors concerner que des lignes secondaires et d'intérêt régional.

La ligne Epinal-Remiremont

Alors que le prolongement de la ligne Nancy-Epinal vers Vesoul fut décidé en 1850, la ville de Remiremont n'était toujours pas raccordée au réseau. Cette commune se devait néanmoins d'obtenir rapidement la construction d'une voie ferrée afin d'améliorer l'approvisionnement du coton venant du Havre indispensable à la rentabilité et au développement des industries textiles qui représentait dans cette région un pourcentage très important de l'ensemble de l'activité textile française.
C'est alors qu'un troisième projet de traversée des Vosges fut proposé par Ferdinand Koechlin, grand industriel à qui l'on doit l'ouverture de la ligne Mulhouse-Thann. Celui-ci prévoyait de prolonger la ligne de Thann vers le fond de la vallée et de franchir le col de Bussang au moyen d'un viaduc en courbe de 40m de haut côté Urbès avec des pentes de l'ordre de 23 pour mille, pour se diriger ensuite vers Remiremont. Ce projet tout aussi utopique que celui de Stanislas Bresson fut rejeté, mais la riposte ne se fit pas attendre.

Carte prussienne du réseau ferré d'Alsace et de Lorraine datant de juillet 1870 qui montre bien l'isolement dans lequel se trouvaient l'Alsace et la Moselle face à la France au lendemain de la défaite de 1870 et de l'annexion de ces deux régions par la Prusse. Elle montre également les prolongements des lignes secondaires réalisés à cette époque dans le fond des vallées vosgiennes sans qu'aucune percée n'y figure en dehors des lignes Paris-Strasbourg par la vallée de la Zorn et Paris-Belfort-Mulhouse réalisées avant la guerre. Il faudra attendre les années 1920 et 1930 pour voir la réalisation d'autres percées ferroviaires entre les deux régions.

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Deux projets rivaux de traversée des Vosges

Au début des années 1860, trois comités virent le jour à Colmar, Munster et Gérardmer pour défendre un projet commun reliant les trois villes, sous l'impulsion de deux industriels très importants et reconnus, M. Hartmann qui possédait de nombreuses industries dans la vallée de la Fecht et M. Chanony qui officiait à Gérardmer.
Un comité similaire se crée également à la même époque plus au Sud entre la ville de Mulhouse, Thann et Remiremont pour promouvoir une liaison entre ces trois communes.
En 1864, le Conseil Général des Vosges se prononce en faveur d’une ligne Mulhouse-Remiremont par le col de Bussang, bien qu'aucune décision officielle en haut lieu fut prise.
C'est alors que le 22 mai 1867, l'ingénieur M. Marx, va présenter pour le compte du comité Mulhousien un projet de liaison entre Remiremont et Mulhouse comportant cinq variantes possibles.
Trois d'entre-elles vont concerner une liaison entre la vallée de la Moselotte et celle de la Thur:
- Via La Bresse et Kruth avec une percée sous le col du Brâmont
- Via Xoulces et Kruth avec un tunnel sous le col de Rouge-Rupt
- Par Ventron et Kruth avec une traversée sous le col d'Oderen
La quatrième variante prévoyait une liaison entre la vallée de la Moselle et celle de la Doller par Saint-Maurice et Masevaux avec un tunnel sous le Ballon d'Alsace tandis que la cinquième, qui était de loin la plus intéressante, prévoyait quand à elle une liaison entre la vallée de la Moselle et celle de la Thur par Bussang et Wesserling avec un passage sous le col de Bussang.
 
Cette dernière avait néanmoins systématiquement la préférence des grandes instances, que ce soit le Conseil Général des Vosges, la Chambre de Commerce du Haut-Rhin ou le Conseil Général du Haut-Rhin.
Cependant, le comité de Colmar ne voulant pas voir son projet tomber aux oubliettes, organise en septembre 1867 avec l'aide de la population une pétition adressée à l'Empereur. Dans le même temps, le préfet des Vosges demandait aux chambres de Commerce d'Epinal et de St-Dié ainsi qu'à la Chambre Consultative des Arts et Métiers de Remiremont de se prononcer sur le choix d’un des deux projets de percée ferroviaire sous les Vosges, avant le 20 décembre 1867.
Le 13 octobre 1867 lors d’une séance réunissant un grand nombre d’industriels de la région, la Chambre Consultative des Arts et Métiers de Remiremont fit connaître sa position en faveur de la liaison Mulhouse-Remiremont sans pour autant pouvoir statuer sur l’itinéraire.
Le projet consistant à relier Mulhouse à Remiremont présentait de bien meilleurs arguments en terme de population desservie, de commerces et d’industries face au projet Colmar-Gérardmer, à tel point que le 29 octobre 1867, 343 communes du Haut-Rhin et des Vosges s’étaient prononcées en faveur du tunnel de Bussang alors que seulement 116 avait voté pour le projet Colmar-Gérardmer.
A ce stade des démarches, une grande majorité était unanime pour soutenir la ligne Mulhouse à Remiremont qui semblait acquise, mais quel tracé choisir ? Celui de la Moselle ou celui de la Moselotte?
Le choix de faire passer la ligne par l'une ou l'autre vallée va être à l’origine d’une vive polémique et d’une lutte acharnée entre les différentes grandes cités industrielles de ces deux vallées qui défendaient chacune leurs propres intérêts. Cette bataille fera naître un curieux contre-projet proposé par la commune de Saulxures qui visait à remonter la Moselotte jusqu’à Cornimont, puis de relier la vallée de la Moselle par Ménil et Le Thillot. Cette proposition fut rapidement écartée en raison de l'estimation de son coût jugé trop élevé pour de tels intérêts. Privilégier une vallée allait forcément défavoriser et pénaliser l’autre.

Le projet Hartmann

Début 1868, pour tenter d’inverser la tendance en sa faveur, le comité Hartmann fit une proposition qui devait en théorie mettre tout le monde d’accord. Le projet Hartmann prévoyait de réaliser un audacieux nœud ferroviaire situé dans le fond de la Thur permettant de relier Colmar, Remiremont et Mulhouse par trois lignes distinctes. Celle de Remiremont remonterait la Moselotte jusqu’à La Bresse pour franchir l'Altenberg par un premier souterrain de 4,4km de long et aboutir au-dessus de Wildenstein. De là, une deuxième ligne devait emprunter un second souterrain de 3,225km de long sous le Batteriekopf pour aboutir dans la vallée de la Fecht et descendre vers Metzéral, Munster puis Colmar. Certaines études préalables prévoyaient même un tunnel hélicoïdal dans un contrefort du Kastelberg (non indiqué sur le plan) pour rattraper l'importante différence de dénivelée du fond de la vallée dans cette zone. La troisième branche n'étant que le prolongement de la ligne de Thann pour atteindre Mulhouse. Ce projet fort audacieux qui boulversait tout avait cependant l'inconvénient de délaisser la vallée de Bussang très active industriellement, mais reçu néanmoins l'approbation du Conseil Général du Haut-Rhin qui demanda un complément d'enquête.

Plan détaillé du projet Hartmann, qui était présenté comme un projet de conciliation permettant de satisfaire tous le monde, mais resté sans suite. En rouge, le choix des itinéraires qui auraient constitué un véritable noeud ferroviaire au fond de la vallée de la Thur. Sont tracées en bleu les lignes effectivement construites avec les terminus à Cornimont, Kruth et Metzéral. En orange, on retrouve les prolongements avec le noeud de raccordement à Wildenstein.

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La déclaration d'utilité publique du tunnel de Bussang

Le 6 juin 1868, un rapport fut remis au gouvernement comportant la synthèse de tous les projets existants et mettant en avant les deux projets principaux, la liaison Mulhouse-Remiremont par le col de Bussang ou par la Doller et le projet Hartmann avec la liaison Remiremont-Colmar-Mulhouse. Le projet du col de Bussang étant moins coûteux et présentant des pentes plus faibles remporta la victoire par rapport aux autres variantes et aux autres projets proposés.
Le 11 juillet 1868, un accord provisoire fut signé entre l’Etat et la Compagnie de l’Est pour réaliser la liaison entre Mulhouse et Remiremont par le col de Bussang et le 3 août 1868, la Compagnie de l’Est obtenait la concession définitive d’exploiter cette ligne. L’Etat fournissait les terrains et se chargeait de financer les ouvrages d’art et la plate-forme tandis que la Compagnie de l’Est avait la charge des infrastructures. A l'annonce de cette déclaration, la population des Vosges du sud et l'ensemble des personnes qui ont défendu ce projet sont en liesse....un peu trop tôt malheureusement, car une grande catastrophe lourde de conséquence se prépare.

 

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