4) LES TRAVAUX


La deuxième déclaration d'Utilité Publique

Plan de la nouvelle section à construire entre St Maurice et Fellering illustrée en bleu avec le tunnel de Bussang qui devait devenir le plus long tunnel de France avec ses 8287m de long.

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Le 11 novembre 1918 marque la fin de la première guerre mondiale qui a été particulièrement meurtrière et voit à nouveau le rattachement tant attendu des régions Alsace et Moselle à la France.
La guerre à peine terminée, les anciens projets ferroviaires non réalisés jusque là resurgissent des tiroirs et c'est la commune de Saint-Dié qui va la première défendre et valoriser les projets pour les Vosges du Nord. Elle obtiendra avec succès de la nouvelle république le 21 novembre 1918, soit à peine 10 jours après l'armistice, la promesse solennelle de réaliser la ligne Saint-Dié-Strasbourg par le col de Saales et la vallée de la Bruche qui sera commencée en avril 1919 et achevée le 21 octobre 1928, ainsi que la construction du tunnel de Sainte Marie aux Mines, ouvrage majeur de la liaison Saint-Dié-Sélestat démarré en 1929 et mis en service le 3 août 1937.
Devant la réussite des projets des Vosges du Nord, les communes des Vosges du Sud ne voulaient pas être défavorisées et vont à leur tour défendre leurs projets auprès de l'Etat français.
Parmi l'ensemble des projets déjà recensés, celui consistant à relier Remiremont à Mulhouse par le col de Bussang avait la faveur du plus grand nombre de partisans et de représentants dans les Vosges du Sud à cette période. C'est finalement ce projet qui fut défendu et retenu plus tard par le gouvernement pour être réalisé.

Mais avant cela, "L'Industriel Vosgien", le principal journal de Remiremont lance en 1920 une vaste campagne de presse destinée à réclamer la construction tant attendue du tunnel de Bussang. La chambre de consultation des Arts et Métiers de Remiremont organisa également plusieurs réunions sur ce sujet pour sensibiliser les habitants et les industriels.
Tous ces efforts allaient aboutir par la déclaration d'utilité publique de la ligne Saint-Maurice-Wesserling le 2 mars 1920, la deuxième après celle du 3 août 1870 concernant un projet très similaire.
La concrétisation des projets de percées ferroviaires sous les Vosges dans cette période d'après guerre était surtout pour le gouvernement un devoir lié à des impératifs politiques plutôt qu'économiques afin d'une part de récompenser les régions anciennement annexées par l'occupant allemand qui sont restées fidèles à la France, et d'autre part de marquer durablement l'attachement de la France pour ces deux régions dont l'histoire était intimement liée à celle de la France.
Le projet initial qui consistait à relier au début Bussang à Kruth fut abandonné au profit d'une variante jugée plus intéressante qui visait à joindre cette fois-ci Saint-Maurice à Wesserling. Cette variante présentait le grand avantage d'éviter les dernières rampes entre Saint-Maurice et Bussang mais avait l'inconvénient de construire un tunnel plus long. Les travaux comportaient le percement d'un tunnel à double voie de 8287m qui en aurait fait le plus long tunnel situé en territoire français. Avec une pente maximale de 8,5 pour mille en descente constante depuis Saint-Maurice vers Wesserling, le tunnel devait autoriser une vitesse maximale de 90km/h pour l'époque. A la sortie du tunnel côté Urbès, un important remblai obtenu avec les gravas du percement devait permettre à la nouvelle ligne de venir s'appuyer 1km plus loin sur les flancs de la montagne pour rejoindre plus loin la gare de Fellering et se raccorder à la ligne Mulhouse-Kruth. De la gare de Fellering, la voie devait rejoindre en tronc commun avec celle venant de Kruth la gare de Wesserling, origine de la nouvelle ligne. Le futur tronçon à construire représentait un linéaire de 13km de long et on envisageait même de mettre à double voie le tronçon Saint-Maurice-Remiremont, ainsi que celui de Cernay à Wesserling.
La future ligne Saint-Maurice-Wesserling fut concédée à la Compagnie de l'Est en 1927 et les études techniques liées à la réalisation des travaux entamées à cette même époque.

Début des travaux

Schéma illustrant au travers d'une coupe longitudinale le principe du percement d'un tunnel suivant la méthode autrichienne. Les coupes transversales montrent la progression au niveau de chaque chantier élémentaire successif. La méthodologie utilisée pour forer le tunnel de Bussang est une variante de cette méthode autrichienne dont elle s'inspire fortement. (Document SNCF)

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L'ensemble du projet est estimé en 1931 à 200 millions de Francs de l'époque, dont 130 millions pour les travaux d'infrastructure (tunnel et plateformes à ciel ouvert) et 70 millions pour la superstructure (pose de la voie ferrée, signalisation et aménagements divers). La Société des Batignolles était pressentie pour construire pour le compte de la Compagnie des chemins de fer de l'Est le souterrain au col de Bussang mais l'affaire n'eut pas de suite, son offre n'ayant pas été la mieux disante. Les travaux d'infrastructure furent finalement adjugés après appel d'offre le 4 août 1932 au groupement Vandewalle & Borie formé de deux maisons mères spécialisées dans les travaux de génie civil. Le chantier débuta en octobre de la même année, le premier coup de mine pour le percement de la galerie de base ayant été donné le 19 octobre. Plus de 1100 ouvriers travaillèrent sur l'ensemble du chantier. La méthode de percement utilisée pour percer le tunnel de Bussang fut très similaire à celle employée pour forer le tunnel de Ste Marie aux Mines (pour comprendre les différentes étapes de cette méthode développée à l'origine par les chemins de fer belges et améliorée par les Autrichiens, je vous invite à consulter les pages de la rubrique "La construction du tunnel" du dossier sur le tunnel de Ste Marie aux Mines). Au plus fort des travaux, le percement du tunnel progressait de 2km par an, ce qui prouvait ici aussi l'efficacité de la méthode choisie par cette société de travaux.
Fin juin 1935, l'avancement du chantier était le suivant:
- Côté Lorrain, les travaux étaient bien avancés, avec la construction d'une galerie de reconnaissance creusée sur 300m pour faciliter la future jonction avec les Alsaciens. Un passage supérieur implanté juste après la sortie Ouest du tunnel était achevé permettant le passage de la route Bussang-Remiremont. Le pont sur la Moselle à la sortie de la gare de Saint Maurice sur le tronc commun avec la ligne de Bussang fut doublé. Il restait encore à construire un deuxième pont sur la Moselle à la sortie du tunnel ainsi que la plate-forme de raccordement.
- Côté Alsacien, la plate-forme était virtuellement achevée et le tunnel était percé sur 4060m décomposés en 4 grands tronçons principaux si on excepte les phases intermédiaires: les 1600 premiers mètres du souterrain sont achevés au gabarit définitif et sont suivis d'un tronçon de stross de 1058m où la voûte est achevée mais pas les piedroits. Le troisième tronçon très court de 342m est constitué d'une galerie de base élargie, tandis que les 1060m derniers mètres du quatrième tronçon correspondant au bout du tunnel sont formés par la galerie de base servant à la reconnaissance géologique et aux relevés géométriques. L'ensemble des ouvrages d'art étaient construits: le viaduc à 3 arches d'Urbès, plusieurs passages inférieurs, des passerelles piétonnes, murs de soutènement...
Le chantier principal de percement du tunnel était situé côté Alsacien pour des raisons purement technique. Celui-ci était effectivement installé de ce côté des Vosges afin de permettre l'évacuation naturelle de l'eau de ruissellement et d'éviter de gêner les travaux compte tenu de la différence de dénivelé entre la commune de Saint-Maurice plus haute que celle d'Urbès, le tunnel descendant continuellement vers l'Alsace. Un chantier secondaire avait néanmoins été lancé côté Lorrain sur la commune de Saint-Maurice avec le percement d'une galerie de reconnaissance pour faciliter la future jonction des chantiers, mais il fut beaucoup moins important que celui qui fut exécuté à Lusse pour le projet de Ste Marie aux Mines, à caractéristiques quasi-identiques.
Sur les 8287m qui devaient être réalisés, le tunnel est creusé dans son ensemble fin 1935 sur 4360m (300m côté Lorrain et 4060m côté Alsacien). Il restait donc 3927m à achever.

Chronique d'une mort annoncée

Coupe transversale d'une section de tunnel illustrant la phase de réalisation des piédroits, moment délicat compte tenu du poids de la voûte à supporter. (Document SNCF)

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Alors que le chantier avançait à un rythme soutenu et respectait l'avancement prévu au planning prévisionnel, on constata début 1935 un ralentissement des travaux. Des rumeurs auxquelles personnes ne voulaient croire commencèrent à se répandre concernant l'activité du chantier. L'entreprise en charge des travaux de percement du tunnel recherchait, disait-on, l'annulation de son contrat en prétextant la dureté des roches rencontrées lors du percement. Mais fin juin 1935, tous le monde doit se rendre à l'évidence, les travaux furent totalement interrompus et le contrat liant la société Vandewalle & Borie mandataire du marché à l'Etat responsable des travaux, tout simplement annulé, sans que personne n'en comprenne véritablement les raisons.
Par qui? Pourquoi? Comment le marché a-t-il été annulé ? Personne n'avait de réponses claires et précises.
Une annonce fut faite plus tard pour indiquer simplement qu'un accord avait été trouvé entre le ministère des travaux publics, la société Vandewalle & Borie et la Compagnie de l'Est et que les travaux étaient arrêtés. Des travaux qui avaient été promis solennellement par le gouvernement, votés par une loi, inscrits aux budgets étaient arrêtés en pure perte par des méthodes totalement irrégulières et inconnues de personnes non averties. Alors, que s'est-il réellement passé?
 
Lorsque le gouvernement engage les travaux de la liaison trans-vosgienne en 1932, la situation économique du pays est très mauvaise du fait des conséquences de la crise économique de 1929. De plus, les tensions internationales ne firent que s'aggraver avec la forte poussée du mouvement nazie en Allemagne et celle du mouvement mussolinien en Italie. Au début des années 1930, le gouvernement décida à contre cœur de lancer les travaux car l'Etat était persuadé qu'il s'agirait là d'un projet à caractère plutôt régional que national, donc d'un intérêt moindre dans un contexte économique et politique aussi difficile, mais également parce que des investissements importants étaient prévus à la même période pour la réalisation programmée du projet similaire et voisin du tunnel de Ste Marie aux Mines. L'euphorie et l'engouement exprimés par le gouvernement après 1918 lors du rattachement de l'Alsace et de la Moselle à la France et qui se concrétisa par la promesse de réaliser un certain nombre de projets tomba en désuétude face aux nouvelles difficultés économiques et politiques. Néanmoins le gouvernement se devait à cette époque de tenir ses engagements et ne pouvait privilégier les projets des Vosges du Nord au détriment de ceux des Vosges du Sud. Ainsi fut entrepris en dépit de ces difficultés le projet de Bussang au même titre que le projet programmé de Sainte Marie aux Mines, celui du col de Saales ayant été le premier achevé.
Pour la réalisation de cet important chantier, l'Etat décida d'organiser un appel d'offre national sous la forme d'un concours technique destiné à privilégier l'entreprise qui serait la plus innovante. L'entreprise parisienne Vandewalle & Borie qui participa était déterminée à décrocher par tous les moyens le marché, surtout dans le contexte économique aussi difficile de l'époque. Les travaux allaient en effet permettre de générer un volume d'activité fort intéressant dans une vallée touchée de plein fouet par la crise économique et chaque société candidate au concours technique espérait décrocher le fabuleux contrat. Afin d'avoir l'assurance d'être retenue et de remporter le marché, le groupement Vandewalle & Borie décida contre toute attente de faire un rabais très important avec une offre globale pour les travaux d'infrastructure de 87 millions, dont 72,3 millions pour le percement du tunnel. Cette offre très inférieure aux 130 millions estimés d'après les études la placa en tête du concours par rapport à ces concurrentes.
Une telle proposition comportant un rabais de plus de 33% par rapport au coût objectif évalué lors des études aurait du interpeler les experts de l’Etat chargé d'examiner les offres, mais rien n’y fait. Pour le ministère des Travaux Publics désireux de faire des économies dans un contexte général aussi morose, il s'agit d'une véritable aubaine et retient après consultation de l'ensemble des offres la société Vandewalle & Borie qui fut la mieux-disante afin d’engager les travaux. Ce choix purement financier ce fit au détriment des dix autres entreprises qui participèrent au concours, dont les propositions furent toutes supérieures mais plus réalistes.
Curieusement, c’est la même société qui remportera quelques mois plus tard le marché du tunnel de Ste Marie aux Mines.
Cependant, en voulant faire d’avantage d’économies sur le projet, l’Etat commit une faute lourde et irréparable en négociant à la baisse l’offre initiale sur une série de prix, alors que le marché avait été proposé à forfait dans le cadre d’un appel d’offre. L’Etat réussi ainsi après négociation à obtenir un rabais supplémentaire et l’offre finale de la société Vandewalle & Borie fut ramenée à 74 millions (dont 68 millions pour le tunnel), soit à peine la moitié du montant global estimé lors des études pour un projet de cet envergure. Dans de telles conditions, le chantier était voué à un échec certain.
 
Le chantier se déroula normalement jusqu’au début de l’année 1935, époque où le tunnel fut percé sur la moitié de sa longueur. Mais l'entreprise comprit très vite à la vue de son bilan financier qu’elle ne pourrait aller au bout de ses engagements. Du fait de l'augmentation importante des prix de la main d'œuvre et des matériaux à cette époque, compte tenu de la mauvaise estimation des coûts réels et des marges et à cause de la mauvaise appréciation des risques financiers pour un tel chantier, les caisses s'étaient vidées beaucoup plus vite que prévu et la société ne trouva d'autres solutions que de se retourner contre le maître d’ouvrage, ceci dans le but de sauver sa situation et défendre ses intérêts. De manière à éviter de justifier un échec pourtant flagrant, elle prétexta au cours de négociations commencées début 1935 avec le ministère des Travaux Publics des difficultés importantes dans le percement du tunnel liées à la nature des roches plus dures que prévues. Un tel motif présentait le double avantage de pouvoir non seulement cacher la vérité sur cette affaire à caractère financier et politique mais aussi de justifier l’abandon du projet en évitant toute contestation sur le fond du problème. L’Etat n’ayant aucune intention de mettre un sou de plus pour poursuivre les travaux par rapport à ce qui avait été initialement budgété, un consensus fut finalement trouvé en juin 1935 entre la société Wandevalle & Borie, le gouvernement et la Compagnie de l'Est pour stopper tout simplement le chantier, les trois partenaires trouvant à priori chacun leur compte dans cette décision.
- Pour la Compagnie de l’Est, l’abandon du projet fut accueilli comme une bonne décision.
- Pour la société Vandewalle & Borie, cet accord officiel lui permit de sortir de cette affaire la tête haute avec de surcroit un confortable bénéfice.
- Pour le ministère des Travaux Publics, ce consensus permit de faire l’économie de ce projet qui était mené de front avec celui de Sainte Marie aux Mines dans lequel des investissements importants étaient également engagés durant cette période économique et politique très difficile. Le gouvernement privilégia dès lors la percée médiane de Ste Marie aux Mines dont le chantier était bien avancé (la galerie de base était totalement achevée avec la jonction des 2 fronts d'attaque le 12 juin 1935) alors qu'il restait encore à creuser 3927m pour le tunnel de Bussang.

La très mauvaise entente en 1935 entre la France et le gouvernement italien qui aurait été le principal bénéficiaire des retombées d’une telle liaison, fut également un motif supplémentaire pour le gouvernement français de ne pas poursuivre les travaux du tunnel d’Urbès dont la construction était en partie motivée par un accord passé avec l’Italie. La ligne aurait du devenir à terme l’itinéraire le plus court entre le Bénélux et l’Italie via la Suisse, d’où un intérêt certain pour ces deux blocs.
L’arrêt du chantier d’Urbès approuvé par l’Etat en juin 1935 allait devoir perdurer, dans l’attente de jours meilleurs.

Des responsabilités lourdes de conséquences

- L’Etat d’une manière générale et plus particulièrement le ministère des Travaux Publics sont responsables de plusieurs faits:
1) L'engagement de réaliser à terme ce projet ferroviaire n'a pas été tenu contrairement aux promesses faites après la première guerre mondiale lors du rattachement de l’Alsace et de la Moselle à la France.
2) Le contrat le plus important du chantier a été résilié en plein milieu des travaux, simplement dans le but de sauver une entreprise qui s'était trompée dans ses estimations et surtout pour éviter de débourser des fonds supplémentaires.
3) Aucun contrôle poussé n'a été exercé par les experts pour s'assurer de la crédibilité de l'offre faite par la société lors de l'attribution du marché, le rabais proposé par l’entreprise arrangeant bien les finances de l’Etat.
4) Aucune solution concrète n'a été recherchée pour continuer et achever les travaux, malgré cette  situation où le chantier était réalisé à moitié et où 60 millions de Francs de l’époque avaient été engloutis en pure perte.
5) Le changement de gouvernement intervenu entre 1932 et 1935 et surtout le remaniement du ministère des Travaux Publics qui s’en suivit eut pour conséquence la remise en cause complète du projet. M. Daladier ministre des Travaux Publics au début du chantier qui était favorable à cette traversée fut remplacé par M. Flandin qui s’appuya sur les motifs officiels pour justifier l’arrêt définitif du chantier et l’impossibilité de le redémarrer.
6) L’Etat est en outre directement impliqué dans les négociations avec la société Vandewalle & Borie qui se sont tenues avant le démarrage du chantier pour faire baisser au maximum les coûts initialement proposés lors de la remise des offres et de la sélection de cette entreprise en août 1932. L'offre initiale de 87 millions de francs comprenant le chantier de percement du souterrain (72,3 millions de francs) ainsi que la réalisation des plateformes à ciel ouvert fut finalement réduite après discussions sur une série de prix à 74 millions au total (dont 68 pour les seuls travaux du tunnel). L'offre finale ne représentait donc plus que 50% des 130 millions estimés lors des études par la Compagnie de l'Est pour les seuls travaux d'infrastructure compte tenu que certaines règles et procédures pour les marchés publics furent bafouées.
7) Aucune justification ne fut donnée par les services de l’Etat sur la réaffectation des sommes restantes du budget voté pour ce projet, après l’abandon définitif du chantier fin juin 1935 et le dédommagement de l’entreprise.

- L'entreprise Vandewalle & Borie, mandataire du marché du percement du tunnel, est responsable quand à elle d'avoir délibérément soumissionné en toute connaissance de cause une offre très inférieure au coût réel d'un tel chantier, simplement pour avoir l'assurance de décrocher le marché et de se porter victime une fois les crédits épuisés. Cette société n'a donc pas honoré son contrat, les travaux ayant été réalisés pour moitié seulement, sans qu'il n'y ait eu de pénalités ou d'injonctions à terminer les travaux imposés par le gouvernement.
En outre, le motif officiel (qui consistait à dire que la roche rencontrée devenait trop dure au point qu'il devenait impossible de forer les trous de mines) qu'elle invoqua à partir de 1935 auprès du maître d'ouvrage pour tenter de sortir d'une facheuse situation financière sans trop de dommages et justifier des difficultés insurmontables, était totalement infondé et constitua un solide argument que seules des personnes averties auraient pu contester après expertise. En réalité, les roches granitiques rencontrées dans la galerie de base étaient conformes aux prévisions (roches dures mais sans difficultés insurmontables) et les avancements quotidiens relevés par l'entreprise entre 1933 et fin 1934 démontrent à juste titre que le rendement moyen annuel maximal fut atteint précisément en 1934 grâce à des techniques et des méthodologies améliorées durant le chantier (les rendements obtenus fin 1934 étaient même parmi les plus performants).
Plus incroyable encore, elle aurait bénéficier d'après certains éléments d'une importante somme destinée à couvrir non seulement les frais de dédommagement liés à l'abandon du chantier mais aussi la dépréciation de son matériel.

- La Compagnie de l’Est qui agissait en tant que maître d’œuvre durant le chantier a également une part de responsabilité dans cet échec commun. De longues négociations furent nécessaires pour que la Compagnie de l’Est accepte la rétrocession et l’exploitation future de la ligne, l'accord avec l'Etat intervenant seulement en 1927, sept ans après la déclaration d'utilité publique. La décision conjointe avec l’Etat et la société Vandewalle & Borie d’abandonner en juin 1935 le projet arrangea bien les dirigeants de la compagnie qui ne croyaient pas du tout en l’avenir de cette nouvelle jonction.

La riposte ne tarda cependant pas à venir. Ce scandale financier généré par l’arrêt du chantier où 60 millions de Francs avait été dépensés en pure perte suscita une très vive réaction auprès de tous les élus concernés par le projet. Le 26 février 1937, soit à peine plus d’un an après l’abandon du projet, un "comité des percées vosgiennes" réunissant tout ce que la région moselanne et alsacienne compte d'élus et de responsables importants fut créé pour protester auprès du ministère des Travaux Publics leur incompréhension et réclamer non seulement la reprise des travaux du tunnel de Bussang mais également la reprise du projet Cornimont-Metzéral. Ce comité fut composé de sénateurs, députés, maires, conseillers généraux, présidents de chambres de commerce et d'industrie, ainsi que de directeurs industriels des deux régions.
Face à une telle mobilisation, le gouvernement de M. Lebrun céda sous la pression et promis que les travaux seraient repris dans les plus brefs délais. Les promesses n’engageant que ceux qui les tiennent, elles ne furent pas suivies d’effets, car nous sommes en 1938 à la veille de la deuxième guerre mondiale, et une fois encore, ce conflit va à nouveau empêcher la reprise des travaux et faire échouer le projet.

 

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